Les personnages principaux et les lieux du roman (travail réalisé avec le concours de Camille Estournès)

Eve

– ouvre le roman qui porte son nom ; personnage central (d’abord pour Sad) :

« Eve est ma raison » (Sad, 13)

« Dans ma tête, je lui fais une promesse : Eve, je te sortirai de tes décombres » (Sad, 108)

Comment comprendre cette affirmation de Sad? Que sont les « décombres » d’Eve? Elle parle elle-même de dérive p 122.

Malgré ses17 ans, elle se sent vieille. D’origine sociale misérable, elle connaît la pauvreté, la violence et la force des hommes : sorte de soumission aux hommes.

Son père, qui ne parle guère, est violent envers elle alors que sa mère se réfugie dans le silence et la passivité (cf. p 99).

Le corps :

Il se caractérise d’abord par sa maigreur et une apparente vulnérabilité.

Il constitue sa seule possession, et aussi une « monnaie d’échange » qui lui permet de « dominer » en suscitant le désir. Elle sombre ainsi dans la prostitution p 21 « J’achète mon avenir ».

« Plus ils me touchent, plus ils me perdent. »(21)

Elle croit cependant en retirer une force et affirme: « Le prédateur c’est moi »

Malgré les violences subies, elle prétend renverser les rôles et ne pas subir (49)

Elle affiche un détachement total face à sa situation: ainsi se moque-t-elle de passer pour une fille facile (seuls Sad et Savita en souffrent pour elle).

On peut cependant y voir une marque d’aveuglement, une sorte de mensonge inconscient ou non à elle-même.

– selon Sad, elle se complait dans les bas-fonds de l’existence et gaspille son potentiel.

Remarque important: p 145 c’est l’arme qui lui permet de rompre avec la situation et qui devient sa monnaie « Ma monnaie d’échange avec le destin. »

La souffrance :

Malgré le détachement affiché, la thématique de la souffrance accompagne Eve comme son ombre. Sa souffrance est ce qui lui permet de se souvenir qu’elle existe p 144 « Mais au moins ainsi, je suis sûre d’être consciente. »

Dès le 1er fragment, la souffrance est liée à la thématique du corps (« brûlure », « créature exsangue », souffle coupé).)

On peut appréhender le personnage d’Eve comme l’emblème, le porte-parole de la violence faite aux filles et aux femmes dont les corps sont violés, pris (« corps volés », 79, protection dont jouissent les hommes), frappés.

Cette souffrance justifie ou du moins explique en partie son geste meurtrier mais réparateur: renversement qui s’opère lorsqu’elle tue le prof (qui lui dit alors « Ne me fais pas mal »)/ . »p 145 « Je finirai par le violer, c’est sûr

– Sa souffrance vient aussi de sa solitude, de son sentiment d’être différente, inaccessible aux autres dont elle fait aussi une fierté. Elle porte cette différence comme un étendard. Cf. p 21-22

A la fin, battue par son père, elle est résolue à se raser la tête, pour se donner des allures de lionne (chevelure = féminité, ce que l’on attrape pour blesser, 131)

L’amitié avec Savita : « Seule chose qui me maintienne en vie » (48-49)

Toutes les 2 imaginent « d’autres nous-mêmes » ailleurs (61) mais ce sont des « rêves stupides ». Leur amitié est une échappatoire à cette existence

Elles partagent une compréhension muette mais aussi une forte sensualité : elles s’évadent ainsi (80) et échappent à l’univers masculin.

A la mort de Savita, Eve paraît perdue. Elle ressent un sentiment de culpabilité entretenu par les parents de Savita qui l’accusent d’exercer une influence néfaste sur leur fille (image des « bas-fonds » p99).

Devant son corps étendu sur la table d’autopsie, elle se projette dans la situation et établit un rapprochement entre ce corps à la orgue et son propre corps abusé sur la paillasse du professeur de biologie. Elle se dit morte aussi (98)

Sad (Sadiq)

Le personnage souligne dès sa première intervention la puissance évocatrice et la polysémie de son nom : « sad » en anglais = triste / « sadique » en français = cruel (onomastique). « Entre tristesse et cruauté la ligne est mince. »

– écho p 148 « Je suis Sad, comme mon nom. »

Tout comme les 3 autres, c’est un adolescent originaire de Troumaron.

Il se distingue des autres par son goût pour la poésie et son amour des mots. Poète à ses heures, il est attentif aux mots, à leur force :

Très présente dans son univers, la poésie est une façon d’exprimer sa détresse et aussi son amour pour Eve.

« Et puis, je l’avoue, j’aime les mots » (16) : le verbe avouer suggère que c’est une faute, une faiblesse, non pas à ses propres yeux mais aux yeux des autres habitants de Troumaron.

– il a découvert Rimbaud à l’école et il considère le poète comme son frère, son double: peut-être parce qu’il est épris de liberté, qu’il est emblématique d’une certaine rébellion et qu’il a cherché à fuir, à rompre avec son milieu. La poésie est ainsi une échappatoire mais aussi un exutoire (contre la violence).

p 27 à propos de Rimbaud « la voix dure d’un gamin qui parlait de ses envies, de sa révolte, de ses blessures, de ses désirs, mais pas seulement, il parlait aussi du monde, du sien et du mien… » « J’ai eu l’impression qu’il me parlait à moi seul. »

– Il emploie des termes mélioratifs pour évoquer la lecture: apparaît comme salvatrice, comme une promesse p 28.

– la poésie permet de recréer le monde et les êtres: cf. p 68 « Je la transforme en encre de gamin noir déchirant les murs ».

– il écrit sur le mur de sa chambre mais aussi sur le palier des messages pour Eve:

p 16 « je tache les murs de ma chambre de mes interrogations, je les ensanglante du jus des mots. J’apprends à me taire. J’apprends à me dire. J’apprends à me construire et à me dérober. » L’anaphore du verbe apprendre souligne combien la poésie est un mode d’apprentissage de l’existence et une voie. Le jeu sur les oppositions comme me taire/ me dire souligne une certaine dualité du personnage qui vit comme dans un entre-deux. Il appartient encore physiquement à Troumaron, mais son esprit s’en évade.

« Je lui dédie toutes les phrases dont je noircis mes murs. Je lui dédie mes soleils amers. »

p 28 J’ai tellement écrit sur elle que parfois je me dis que j’écris aussi sa vie. »

(37)

« J’écris pour ne pas devenir fou » p 140/ p 141

– pour le moment, il explique qu’il ne crée pas mais singe en utilisant les mots des autres (cette manipulation est signe pour Eve qu’il s’en sortira)

« Ma voix n’est pas la mienne » (p 66)/ p 90 « Je faisais du sous-Rimbaud, comme d’habitude. »

Sad permet une mise en abyme de la lecture et de l’écriture.

L’amoureux :

Il exprime d’emblée l’importance d’Eve à ses yeux. P 13 « Eve est ma raison » (de vivre????). Eve reste indifférente (reprise moderne du topos de la belle indifférente?) à ses sentiments, leurs relations se construisent sur une incompréhension. P 16 « Eve ne le comprend pas. »/ Il tente de partager avec elle le goût et le plaisir des mots, glisse même un livre de poésie dans son cartable mais en vain.

– sorte de culte voué à Eve. P 16 « mais moi, j’ai envie de m’agenouiller ».

– souligne attirance sexuelle pour Eve (p 34 quand il voit danser Eve et Savita danser). P 16 « La nuit, mes hormones prennent son visage et la dessinent à grands jets de désirs »

– ses écrits sont centrés sur elle : il dit pouvoir la deviner (28) ; pourtant elle pense qu’elle échappe à tous, lui compris (30).

Elle l’obsède. P 47 « Personne ne sait qu’on peut aimer comme ça, à dix-sept ans. Je baigne dans l’eau nocturne d’Eve. Je plonge dans sa vision trouble. Je me noie dans sa boue. » La gradation souligne l’immensité de son sentiment, malgré la vie qu’elle mène.

p 67 « J’aime une fille dont on a piétiné le corps. Mais le jour où je serai en elle, j’effacerai toutes ses marques: elle sera neuve. »

– malgré cela elle le rejette lors de la promenade, elle l’associe aux autres hommes (à qui elle ne pourrait dire je t’aime sans se suicider)

– p 90 « Eve ne sera jamais à moi. Je ne cesserai jamais de l’aimer. »

– ils connaissent un moment de proximité après le drame, au Caudan, mais il n’ose pas exprimer son désir (p 108)

A la fin, veut se dénoncer à sa place mais là encore elle le repousse : « Je n’ai pas besoin de toi »

Une double vie : le jour/la nuit (26)/ p 16 « Cette double vie m’épuise ».

– Il reste en partie soumis à ceux de la bande (selon ce que dit Eve, 92)/ p 16 « Je suis leurs pas et je fais semblant d’appartenir pour la forme, pour la survie. » On retrouve régulièrement une opposition entre « les autres » et « moi » (point commun avec Eve).

– Mais il investit aussi dans sa scolarité, éventuelle porte de sortie

– Sa chambre constitue une antre, un refuge/ par opposition au dehors où règnent les garçons, leur violence. C’est son jardin secret.

– il cherche à faire barrage à cette violence lorsque la bande part à la recherche d’Eve

– il s’identifie à tous dans la cité, tour à tour (150)

A travers son regard nous découvrons Eve et Troumaron. La description qu’il fait du lieu p 13 s’appuie sur de nombreuses images (« Je suis dans un lieu gris »/ « c’est une sorte d’entonnoir »/ métaphore « le dernier goulet »/ « Je suis un réfugié de naissance »/ « l’eczéma des peintures »/ « l’encre de toutes les virginités perdues ici »), des notations de couleurs + personnification de Port-Louis (« la ville nous tourne le dos » qui témoignent de son penchant pour la poésie. C’est un lecteur mais aussi un « écrivant » à défaut d’être déjà un écrivain. On peut se demander si Sad incarne une sorte de double de l’auteur. La misère sociale et humaine du lieu et de ses habitants est en grande partie dénoncée à travers sa subjectivité.

p 35 « Eve, je suis le seul à savoir qui elle est. »

p 149 « Je veux parler de ces lieux qui existent hors du temps et qui nous assassinent. Je veux dire ces lieux qui s’obstinent à démentir ce que nous sommes. »

Cf. fin p 153 « Quelle est la suite de l’histoire? Sad, c’est ton boulot ça, que de raconter? »

On ne peut que noter le clin d’œil final p 155 « pour elle, avec elle, pour une saison ou plusieurs, je suis prêt à aller en enfer ». Ces propos de Sad font écho au titre d’un recueil de Rimbaud, « Une saison en enfer. »

 

Clélio

On peut considérer Clélio comme emblématique de la violence et de la misère humaine de Troumaron, comme un symbole de cette jeunesse désespérée et livrée à elle-même, mais aussi comme l’antithèse du personnage de Sad, ce qu’il suggère lui-même p 24 « Sad, qui parle comme personne ici. »

Dès sa première intervention il se définit par sa révolte: p 24 « Je suis Clélio. Je suis en guerre. Je me bats contre tous et contre personne. » La succession de ces deux courtes indépendantes établissent une relation d’équivalence entre le pronom JE et le terme Guerre.

– son frère Carlo est parti il y a 10 ans et semble mentir sur sa vie en Europe : Clélio juge cela comme une trahison (p 55). P 39 il explique que Carlo était son héros, sans doute le seul. Mais cette image qu’il avait de lui est désormais morte puisque le héros n’est pas venu le secourir comme promis. P 54 « cette trahison fait de toi un autre. »

– ne croit en rien, ne peut avoir confiance en personne (71)

– ne croit pas non plus à la solution de l’école et de l’éducation. Son discours reflète son indigence de ce point de vue notamment à travers les tournures familières. Ex « Sais pas qui » p 24.

La violence : s’exerce contre lui et les autres. Dès sa première intervention il évoque son désir de tuer, ce qui ménage la suite: on aura vite fait de penser qu’il est sans doute l’assassin de Savita.

– Son discours est dominé par le champ lexical de la violence et du combat.

– Il se présente comme une menace. Ex phrases injonctives p 24 « Souvenez vous de moi, mais ne me cherchez pas. ». Cette menace s’exerce notamment lorsqu’il est sous l’emprise de l’alcool, p 25 « J’ai l’alcool mauvais »

– Pas d’explication ni d’espoir de changement p 25 « On ne se refait pas ». Là aussi idée d’un déterminisme social. P 54 phrase averbale « Impossible de m’arrêter de brûler. »

« Je crois que je suis né comme ça », « je ne changerai pas. Je suis un pisseux, un morveux, un merdeux » (p 25): gradation qui traduit aussi la mauvaise image qu’il a de lui-même. Ceci est renchéri par la métaphore du crapaud qui intervient à plusieurs reprises.

p 38 « Mais moi, j’aimerais bien ça. Sentir les coups, donner des coups, éprouver la liberté de ma rage comme un vent acide qui me transperce et efface la mémoire. »

– Il cherche à attirer l’attention, l’insulte (bouscule les passants dans Port Louis, 39) et il a déjà séjourné plusieurs fois en prison pour voies de fait et agression p 25. C’est la seule façon d’exister qu’il ait trouvée.

– Il sait pourtant que sa quête est vaine, que tout cela n’a pas de sens, comme le suggère la phrase « Je me mords la queue. » p 39 / p 55 « Nous ne pouvons nous libérer que par la mort. »

– Il constitue donc évidemment un suspect tout désigné après le meurtre de Savita. P 103 « je suis coupable d’être moi, je suis coupable d’être, et ils me bousculent… »/ Sad explique p 105 « Je sais qu’il n’a pas tué Savita. Mais il est le Coupable. » « Clélio n’a qu’à ouvrir la bouche pour se condamner tout seul. C’est un innocent dans tous les sens du terme. »

p 138 « Les journaux ont déjà commencé mon procès ».

Un être révolté qui dénonce les injustices :

– Cette révolte est exprimée par le recours à plusieurs reprises du mot « rage » (p 24), mais aussi par le recours à des phrases courtes (l’émotion est telle qu’il ne peut pas développer ses idées dans de longues phrases) et à des termes crus. p 24 « Ca me démange de leur faire bouffer aussi leur sourire. »

– image p 24 « J’ai assez de colères pour remplir dix fois le panier percé de ma vie ». Cette phrase permet de percevoir aussi sa souffrance au-delà de la rage.

« je suis coupable d’être moi » : désillusionné, sait qu’on va l’accuser

– il considère la cité de Troumaron comme une prison. Il est victime des lieux et de sa situation p 39 « Port-Louis vole quelque chose en moi. »

– expression de sa révolte sociale p 54 « et la mère est l’esclave du père, et le père est l’esclave du patron et que la mère dans ce cas est l’esclave d’un autre esclave, et c’est pire que tout… » / p 69 « Parfois je viens ici tout seul, juste pour voir comment la vie ment aux pauvres. »

– il exprime son refus d’être esclave p 54, ce qui le rapproche quelque peu d’Eve. Tout comme elle, il s’illusionne aussi sur son cas, puisqu’il demeure l’esclave de sa violence.

– p 69 « Nous sommes un gribouillis d’humanité ».

– p 69 critique du monde du travail et de l’usine.

– p 70 critique des relations hommes/ femmes

– il revient régulièrement aussi sur les questions ethniques et le racisme. P 104 par exemple.

– il est aussi victime d’une erreur judiciaire

Sensibilité : p 71 « Je ne crois en rien. Mais je souffre quand même. »

– sa sensibilité s’exprime dans son don pour le chant (p 24)

– Sa sensibilité trouve son apogée quand il tente de chanter pour Savita – fascination pour la mort

– En prison, il s’ouvre à la compréhension des autres (son frère – son père) et souhaite alors avoir une 2e chance p 139. « c’est la première fois que j’ai l’impression que je suis foutu. » « Je fais quand même des plans, au cas où je m’en sortirais » « Fini de faire le fou. » Partir lui semble la seule solution.

p 118 « On dirait que je deviens un saint en prison. »/ Sorte de rédemption permise par la mort de Savita

Il incarne une certaine désespérance: p 25 « Je crois que je suis né comme ça. Je crois que j’ai vu le futur et que j’ai pas aimé ça. »/ p 69 « j’avais besoin de rien, j’avais besoin d’un guide, j’avais besoin d’une raison ». Il éprouve le sentiment d’être une âme perdue.

Savita

Savita participe aussi à la construction du personnage d’Eve. Elle porte sur son amie un regard assez lucide et perçoit bien sa fragilité sous cette apparence de détachement et de force. P 63 « Cela me peine de la voir si fragile, qu’elle se croie si forte. »

Un être en détresse aussi:

– elle souffre de ne pas pouvoir être elle-même. Elle exprime aussi p 63-64 le sentiment d’une dualité. « Je voyais une autre Savita »/ « J’étais obligée de ressembler à cette image »

Amitié fusionnelle avec Eve: « Je donnerai ma vie pour toi. » p 72/ sentiment amoureux/ Partage d’une sensualité traduite notamment par la métaphore du cannibalisme p 85.

p 63 « S »approcher d’Eve, c’est être happé par elle. »

C’est sa rencontre Eve qui l’a empêché de quitter Troumaron et surtout de fuir sa famille p 63. Chacune a besoin de l’autre.

p 65 « J’avais l’impression que c’était moi. »

Savita est comme le double d’Eve, mais elle officie comme un « ange gardien ». Cf. p 72 « On dirait que je suis toujours là au bon moment pour te ramasser. »/ Eve l’exprime elle-même. P 49 « Elle m’a aidée à me mettre debout… »/ p 79 « Savita tente de me retenir […] de me soustraire à moi-même… »

– elle se donne une mission salvatrice qui va finalement la perdre

p 72 « Je voudrais te protéger. Je voudrais t’empêcher de te perdre. Je voudrais être celle qui te sauve de toi-même. »/ Eve en a en partie conscience p 94 « Savita ne sera pas en bas à m’attendre comme d’habitude pour renouer le mince filin de vie dans mon corps, et sans cela je n’ai pas de vie… »

p 84-85 elle est celle qui voir pour elles deux, qui perçoit la réalité et ses dangers, notamment par rapport aux garçons de la cité.

Cette amitié est leur seul bien, leur unique vraie richesse dans cet univers sordide.

Sad évoque ce lien étrange et sensuel qui les unit :

P 80 « Mais elles sont comme les deux mains d’un corps »

p 126 « Elle croyait te protéger, mais tu l’as exposée à un plus grand risque. »

 

Une victime expiatoire:

 

– elle meurt précisément d’avoir voulu protéger Eve. On la retrouve dans le local à ordures « enfoncée dans une poubelle ». / Elle a transgressé l’intimité de sa faute (celle du prof) en regardant par « la fente de la porte ».

– témoin de sa déchéance, de sa misère, elle est assassinée pour que le mal reste tu.

– elle meurt pour Eve et lui permet finalement une renaissance. La culpabilité d’Eve la conduit au désir de vengeance. Assassiner le professeur lui apparait comme un geste salvateur. Elle venge Savita, mais elle prend aussi conscience de sa réalité.

– Savita est morte pour la sauver, ce qui explique pourquoi Eve se confond dans sa mort, sa dépouille.

p 109 « En réalité je suis morte. En réalité, j’ai disparu sous le linceul. »

– mais la mort de Savita permet aussi une certaine prise de conscience chez Clélio qui aspire alors à une seconde chance. p 117. Elle autorise son désir de rédemption.

La représentation des adultes

 

Le regard porté par ces jeunes sur les relations entre les hommes et les femmes est terrible.

Leur image du monde adulte rime avec désœuvrement, chômage, alcoolisme, violence; autant de vices qui caractérisent ces adultes qui ont « abandonné » leurs enfants, les maltraitent ou ne les comprennent pas.

Le roman a pour toile de fond un contexte social âpre : Ananda Devi évoque la fermeture de l’usine, sous le coup de la concurrence des ouvriers étrangers, mais aussi les difficultés raciales.

La mère d’Eve : insistance sur la décoration éclectique et de mauvais goût (41)

La télévision constitue son seul bonheur

Elle ne réagit pas, se montre passive, apathique, face à son mari.

Eve la compare à une « tortue » (p 109) ; elle refuse tout de cet univers (p 20 à 22).

– image d’une femme noyée, n’est plus qu’un « tout petit tas de honte » (p 114)

– elle reconnait elle-même avoir démissionné de son rôle (p 132)

Symboliquement, c’est elle qui coupe les cheveux de sa fille : ce geste est un ultime rapprochement mais aussi une atteinte à l’intégrité physique de sa fille.

Le père d’Eve : extrêmement violent, bat la mère comme la fille à plusieurs reprises (p 42, 98, 130)

Eve signale qu’il est entré dans sa chambre : comportement déplacé, peut-être malsain

Ne cherche pas à comprendre, frappe (en réponse aux soupçons de l’entourage visant Eve)

La mère de Clélio : à l’usine, est devenue grise (p 69)

Elle n’a pas compris ce dont il avait besoin: lui offre des Nike alors qu’il attend amour et ligne de conduite, éducation…

Ne sait que dire sur son fils et ne cherche pas un instant à le défendre ou emploie des termes qui auront un effet paradoxal : « ki mo pu dir u » (p 138)

Les parents de Savita : accusateurs / Eve et sa mauvaise influence

N’ont jamais accepté de faire partie du quartier, ils restent étrangers

Les adultes ne comprennent rien à ce qui touche à ces jeunes ; ces derniers sont donc livrés à eux-mêmes, à la violence du groupe, au désœuvrement.

Discours dévalorisant, globalisant : « Ils sont nés comme ça, avec leur pourriture au cœur » (à propos de Clélio)

Le prof de biologie : il a d’abord un rôle secondaire, mais son importance devient capitale dans la 2e partie puisqu’il est à l’origine du basculement des protagonistes.

Il est d’abord perçu comme « gentil mais sournois » (48) puis Eve comprend qu’il monnaye le savoir. Elle le traite d’hypocrite ou de lâche car elle comprend ses intentions avant qu’il n’ose les assumer.

Ce désir maladroit provoque chez elle du dégoût (p 56-57) et elle répond avec froideur à leurs échanges. Il la déroute cependant quand il semble avoir des sentiments (p 82).

– Les passages en italiques parlent de lui à la 3e pers (« il ») : traduisent son point de vue, son intériorité. (111-113 puis 133-135)

Le policier : n’apparaît que peu

Il l’interroge et exprime son incompréhension face au comportement d’Eve

C’est lui qui lui fait don de l’arme (assez peu vraisemblable) : veut-il assurer ainsi sa protection ? Ou au contraire la pousser plus loin encore dans la déchéance ?

Les lieux

Leur traitement romanesque en fait presque des personnages tant ils semblent influer sur les personnages. Ils opèrent à la manière d’une fatalité moderne par le déterminisme qu’ils supposent (dans un environnement laid et sale ne peut advenir que le malheur ?)

Troumaron

Présenté par Sad comme le dépotoir à pauvres, réfugiés climatiques jamais relogés (p 13)

« La ville nous tourne le dos » (personnification signifiant l’exclusion)

Usine désaffectée, déréliction du quartier

« Notre antre, notre terrain de jeu, notre champ de bataille, notre cimetière » (p17) : gradation dans ces désignations du lieu clos et violent.

La cité condamne ceux qui y naissent (Eve p 29). Elle vole leur âme, en fait des robots, p 20 à 22.

C’est une prison (Clélio, p 38) que beaucoup ont perdu tout espoir de quitter.

Ce lieu est comme une enceinte, à l’écart du reste du pays et de son développement, c’est une zone sacrifiée, oubliée.

Port-Louis : ville toute proche

Il existe un contraste évident entre la capitale et cette banlieue. Port-Louis est associée à des images de vie, d’univers urbain sans cesse en mouvement et en changement (par opposition à l’immobilité de la cité mortifère)

– Beauté de la vue, lors de la promenade en vélo (p 45-46)

– personnifiée, la ville semble s’adresser à Sad, le conseiller (bas 67)

– Caudan : perçu comme un autre monde coupé du leur

Grand-Baie : décor de l’épisode en boîte de nuit

Contraste entre bonhomie le jour et la prostitution affichée la nuit.

Le pays : vu par Sad comme une carte postale trompeuse

On joue la comédie pour les touristes (que les jeunes arnaquent)

Clinquant trompeur du développement qui ne profite pas à tous.(15)/ hypocrisie de la société arc en ciel.