ntroduction :

La Fontaine appartient au XVII°, le « Grand siècle » de Louis XIV, durant lequel les moralistes occupèrent une place prépondérante. Auteur de poèmes, de contes, de nouvelles et même d’un roman, c’est surtout comme fabuliste qu’il s’est illustré et imposé dans le paysage littéraire, procédant alors à un travail de réécriture de textes de l’antiquité gréco-latine tout en puisant également dans le Panchatantra indien.

Pour la fable intitulée « La poule aux œufs d’or », extraite du livre V, il s’inspire de l’apologue d’Esope, fabuliste grec, « L’oie aux œufs d’or ». Il fustige ainsi, à son tour, avarice et avaricieux.

Problématique :

Il s’agira de montrer comment La Fontaine emprunte à Esope dans un travail de réécriture qui participe d’un renouvellement du genre de la fable.

I – Une réécriture d’Esope :

Force est de constater qu’Esope constitue la source d’inspiration de La Fontaine.

A – Une reprise des mêmes motifs :

– les titres se ressemblent, une seule variation repérable : La Fontaine opte pour la poule, animal peut-être plus familier de son lectorat.

– On retrouve la même thématique de la cupidité :

Champ lexical de la possession et de la cupidité

v Chez Esope : œufs d’or/ rente/ toutes d’or/ ne sut se contenter/ à vouloir toujours plus/ possèdent

v Chez La Fontaine : œufs d’or/ avarice/ voulant tout gagner/ un œuf d’or/ un trésor/ son bien/ gens chiches/ pour vouloir trop tôt être riches

– on retrouve également le motif de la perte :

v chez Esope : privé de ses œufs, perdent

v chez La Fontaine : perd tout/ ne lui rapportaient rien/ s’étant ôté/ sont devenus pauvres

– on retrouve également le motif du sacrifice cupide et stupide de l’animal :

v Chez Esope : « il n’hésita pas à l’immoler »

v chez La Fontaine : « il la tua »

Il apparaît dans les deux cas que le volatile « aux œufs d’or » n’est qu’une image, « les œufs d’or » sont une métaphore destinée à souligner la richesse naturelle dont les personnages ne savent pas se contenter.

B – Un même genre littéraire : l’apologue :

L’apologue = un récit bref, fictif, qui comporte une leçon. La narration y a donc un caractère symbolique et exemplaire ; derrière l’anecdote, se cache un sens figuré que le lecteur ou l’auditeur doit déchiffrer et qui constitue l’enjeu majeur du texte. La portée du récit peut être de nature variée : morale, philosophique, sociale, politique ou religieuse.

Les deux textes consistent en une fiction argumentative. Esope propose une anecdote fictive des lignes 1 à 5, anecdote à laquelle La Fontaine fait expressément allusion au v 3, ainsi qu’en témoigne la proposition « à ce que dit la fable ».

® par cette expression il souligne son emprunt au modèle d’Esope, il opère ensuite comme une citation du poète grec.

® cette formule lui permet alors d’insérer dans un texte cadre le récit encadré qui opère comme un rappel de l’histoire exemplaire inventée par Esope

On pourrait alors se demander si la transformation de l’oie en poule ne permet pas d’entretenir la fiction d’une mémoire vaguement défaillante. La Fontaine semble, en effet, théâtraliser, exhiber, son travail de réécriture.

La fiction présente les caractéristiques du récit : alternance imparfait/ passé simple ; présence de personnages ; verbes d’action ; narrateur.

Les deux textes comportent également une visée argumentative. Le texte d’Esope se clôt sur une moralité « De même […] qu’ils possèdent ». Une moralité que l’on retrouve en conclusion de la fable de La Fontaine, ainsi que le signifie l’exclamation « Belle leçon […] ! ».

Il s’agit pour les deux auteurs de généraliser à partir d’un cas particulier, exemplaire, narré par l’anecdote, ainsi qu’en témoignent chez La Fontaine le pluriel et le recours à l’article défini à valeur totalisante dans le GN « les gens chiches ». On peut également citer à ce titre le pronom « combien ».

Le procédé de généralisation apparaît également dans le recours à l’article défini dans le GN « L’avarice », présentée ainsi comme un défaut universel.

Les similitudes sont donc nombreuses et le travail de réécriture affiché ; toutefois, le fabuliste du XVII° procède, au-delà de ces emprunts, à un effort de renouvellement du genre.

II – Le renouvellement du genre :

La Fontaine s’approprie, en effet, le genre, et le porte à son plus haut degré de perfection, en en renouvelant la forme, l’esthétique et le dynamisme, en cette période de classicisme.

A – de la prose à la fable versifiée :

On peut aisément remarquer que La Fontaine transpose l’apologue dans le genre poétique sans en amoindrir la portée morale. Il pousse le « placere » à son paroxysme.

– typographie, vers : ici un ensemble de 12 vers. Structure hétérométrique : alternance d’alexandrins et d’octosyllabes qui confère à l’ensemble une certaine vivacité. La fable se déroule sur un mode alerte qui ne nuit pas à l’impression de naturel, bien au contraire (permet de simuler une certaine oralité)

– présence de rimes

La transposition poétique s’accompagne d’un certain nombre d’effets :

– anaphore du pronom « tout » au v1 qui souligne finalement une antithèse, un paradoxe entre le rien obtenu et le tout désiré

– allitération en T/ P dans les trois premiers vers + v 12 qui suggère la chute et la perte

– effets de rythme, dynamisme : ex : absence de coupe au v 1 qui suggère l’élan cupide mais aussi la rapidité de la chute et de la perte. Même chose pour le vers 8

– recourt à la parataxe (juxtaposition ou coordination de proposition indépendantes) au v 6 qui dynamise le récit (effet d’accélération)

– recourt à l’hypotypose : figure de rhétorique qui fait la description d’une chose ou d’un fait de façon animée et vivante, comme si elle la mettait sous les yeux du lecteur

B – Une volonté moralisatrice plus affichée :

La grande originalité de la Fontaine dans cette fable réside dans le redoublement de la morale. L’anecdote est, en effet, encadrée par deux moralités.

Le v 1 : « L’avarice perd tout en voulant gagner tout gagner » se présente comme une maxime (genre littéraire qui se distingue par sa visée moralisatrice. Il s’agit d’une phrase qui tient du proverbe et qui énonce une vérité ou un précepte).

– l’avarice est un terme générique

– on repère également le présent gnomique

de plus, les verbes « perdre » et « gagner » ont pour sujet le groupe « L’avarice » qui opère ici comme une allégorie : personnification, animation d’une idée abstraite. Ici plus que l’individu (comme chez Esope), c’est véritablement le défaut qui conduit à l’erreur et qui se trouve ainsi stigmatisé.

Les trois premiers vers permettent un effet d’annonce ; ils introduisent la question morale visée par la fable. Les quatre derniers vers ont ensuite un rôle conclusif et redoublent les premiers.

Cette volonté moralisatrice est, en outre, nettement revendiquée. Le verbe « témoigner » signifie bien la fonction démonstrative (au sens de montrer) de la fiction, qui va opérer comme une illustration du propos moralisateur. La fiction a une dimension exemplaire.

Il en va de même pour la mention de la fable au v 3.

Conclusion :

De la même façon que La Fontaine enrichit par des tours nouveaux et des formes poétiques, la dimension esthétique et plaisante de l’apologue, il en intensifie le dynamisme et en souligne la visée morale et éducative. Placere et docere, ainsi affichés, témoignent du pouvoir que La Fontaine accorde au genre.