Pourquoi une lecture comparative ?

Le sujet de commentaire à l’écrit peut prendre la forme d’un commentaire comparé. L’exercice consiste alors en l’étude simultanée de deux textes présentant des ressemblances thématiques et/ ou formelles (ex : deux réécritures reprenant des motifs similaires, ou eux sonnets). Il s’agit alors de les comparer afin d’en dégager les spécificités et l’originalité, mais aussi leurs points communs.

Quelle est alors la démarche à suivre ?

Vous devez étudier, au brouillon, chacun des textes séparément, comme pour un commentaire classique, mais en conservant à l’esprit la démarche comparative, ce ci afin de cibler vos analyses. Vous rapprocherez ensuite les deux analyses de façon à dégager des ressemblances et des écarts.

Comment organiser le plan d’un tel commentaire ?

Il faut proscrire toute tentative de plan simpliste qui viserait à traiter d’une part les ressemblances, puis les différences. Celles-ci doivent apparaître au fil du commentaire, organisé selon deux ou trois axes directeurs.

Votre plan dépend du projet d’étude défini, de la perspective selon laquelle vous menez la confrontation des textes.

Dans le cas présent, il s’agit de comparer les textes de Verne et celui de Saint John Perse, ce qui revient à s’intéresser à la présentation du naufragé mais aussi au texte descriptif et à ses valeurs.

I – Présentation du texte de Jules Verne/ Première approche :

Ce texte de Jules Verne est antérieur à celui de St John Perse. Ils n’appartiennent pas au même genre littéraire : le texte de Perse relève du genre poétique (poème en prose) tandis que celui de Verne appartient au genre romanesque. Il s’agit plus précisément d’un extrait de roman d’aventures, genre particulièrement en vogue dans la seconde moitié du XIX°.

Le roman d’aventures est un type de roman populaire qui met particulièrement l’accent sur l’action en multipliant les péripéties parfois violentes, dans lequel évoluent généralement des héros positifs facilitant l’identification du lecteur, plutôt masculin et jeune. Centré sur l’intérêt dramatique, le suspense, sans se soucier toujours de la vraisemblance, le roman d’aventure met en scène des personnages nombreux mais simplifiés. On s’intéresse davantage à leurs actions et à leurs difficultés qu’à leur psychologie. Ces romans se déroulent souvent dans un cadre géographique exotique, qu’il décrit en recourant alors à un vocabulaire précis et technique (visée pédagogique). Il est également sous-tendu par une morale plutôt schématique qui divisent les hommes en bons et méchants, le héros (généralement vainqueur) défendant le camp du bien, d’où la place qu’on lui a fait dans la littérature pour la jeunesse.

Le roman d’aventure(s) appartient au domaine de la littérature populaire et a connu son âge d’or en Europe entre 1850 et 1950, notamment en France et en Grande Bretagne, au moment de l’établissement d’empires coloniaux, ou encore aux Etats-Unis dans le contexte de la conquête de l’ouest : il est marqué en effet par l’exploration du monde dit « sauvage », sa domination par l’Occident et sa transformation par la technologie moderne. Les plus célèbres auteurs qui ont marqué l’histoire du genre sont Walter Scott, Fenimore Cooper, Alexandre Dumas père, Stevenson, Kipling, Conrad et Verne.

Les indices qui permettent de classer cet extrait dans la catégorie du roman d’aventure sont :

– les motifs de l’exploration et de la découverte : le terme « exploration » est employé au singulier ligne 3 puis au pluriel ligne 14, on rencontre également le verbe « explorèrent » ligne 8, « les explorateurs » ligne 14 (donc polyptote) + lexique de la découverte : « il s’agissait d’y découvrir » ligne 17, « qui découvrit » ligne 18 + image ligne 14 « Les explorateurs foulaient alors une terre vierge de tout pas humain. ».

– Ce motif de la terre vierge appartient également à ce genre de roman

– Les verbes d’action

– Mais aussi la présence de certains termes techniques, notamment de botanique (qui contribuent à la visée également didactique du genre) + au réalisme : « de la famille des ulmacées » ligne 6 ou encore « connus sous le nom de micocouliers de Virginie » et ligne 29 l’expression « organes locomoteurs du plantigrade ».

Problématique possible : il s’agira de souligner comment ces deux amplifications/ transposition de l’hypotexte de Defoe, en inscrivant leurs personnages dans la nature, proposent deux visions différentes de l’homme.

Axes :

1 – Le traitement du motif de Robinson

2 – Un même recours au discours descriptif dans des intentions différentes : une île paradisiaque

Le traitement du motif de Robinson :

On peut parler pour ces deux textes de transformation du mythème du naufragé. Perse procède essentiellement à une transposition générique du texte source, mais il modifie également la signification, la symbolique accordée au personnage de Robinson. Ce dernier s’offre à la nature, s’abandonne, tandis que le naufragé chez Verne se montre au contraire actif. L’exploration intérieure, la contemplation, cède le pas à l’exploration et à l’action. Le champ lexical de l’exploration, du regard scrutateur abonde. De même à l’immobilisme de Crusoé succède une grande mobilité (gambade, foulaient, inspection etc….).

On constate chez Verne une amplification du mythe. Tout comme Perse il modifie la définition identitaire du personnage. Chez Perse Robinson disparait au profit de son patronyme Crusoé (modification qui symbolise l’idée d’un homme renouvelé par la contemplation), chez Verne le naufragé est collectif : « Flip, Marc et Robert » + troisième personne du pluriel. Ces trois personnages, qui incarnent sans doute différentes facettes du personnage-source, opèrent comme un microcosme, une microsociété dans laquelle chacun joue un rôle précis. Il convient de relever les expressions « la petite colonie » ligne 10 ou encore « la petite famille »

Marc et Robert, plus jeunes incarnent une certaine insouciance et un esprit de jeu (voir ligne 25 : se rouler sur le sable, gambades…). Flip apparaît plus réfléchi. Il est certes plus âgé, ce que suggère la précision ligne 8 « ses deux jeunes compagnons ». Sa maturité est traduite par le recours régulier au discours indirect libre comme à la ligne 9 « Pour l’exploiter, il ne s’agissait plus que de se procurer quelques lignes, hameçons et filets ». Pendant que les autres se livrent à une exploration ludique et jouissive, Flip analyse la situation et le lieu, il évalue, ce qui se traduit par le recours au champ lexical de l’exploration (« il voulait soigneusement examiner » ligne 15, « l’inspection » « avec une extrême attention » ligne 17). En outre le narrateur en jouant des changements de points de vue relie constamment observation visuelle et réflexion : ex : « il se demanda si cette caverne ».

Conclusion partielle : Si les naufragés des deux textes se distinguent de celui de Defoe par leurs noms mais aussi, dans le cas de Verne, par leur nombre, il apparaît clairement que les deux auteurs ne traitent pas la symbolique du motif de la même façon. Nul abandon chez Verne : il s’agit pour les personnages de tirer parti de cette île apparemment paradisiaque.

II – La description d’une île paradisiaque :

Les deux textes recourent abondamment au discours descriptif. Toutefois, il s’agit d’un discours presque exclusif chez Perse, tandis qu’il se mêle étroitement au narratif chez Verne. On constate également que la description de Perse est faite au présent. Ce dernier cherche ainsi à actualiser la vision pour mieux l’imprimer, l’inscrire dans l’esprit du contemplatif, et indirectement du lecteur. La nature devient un personnage à part entière et le véritablement sujet du texte. Chez Verne la description demeure à l’imparfait, ce qui l’inscrit dans le récit. Il s’agit pour l’auteur de poser le cadre des péripéties et de l’action. Le lieu est une toile de fond.

Chacun de ces textes insiste sur la dimension exotique de l’île ainsi qu’en témoigne la mention des palmiers par exemple (polyptote chez Perse). Les deux auteurs usent d’ailleurs d’un lexique précis (micocouliers de Virginie, plantigrade, palétuviers chez Perse).

Tous deux présentent de prime abord ce lieu comme un locus amoenus. Le motif de la joie procurée par le lieu chez Perse en témoigne, tout comme l’expression « contrée charmante » chez Verne. Cependant la description de Perse relève du registre lyrique et constitue la base d’un hymne à la nature, ce qui n’est pas le cas chez Verne. On ne constate pas chez ce dernier la présence de termes incantatoires, les jeux sur les allitérations se font également plus discrets. Verne insiste surtout sur la beauté des lieux et une dimension enchanteresse, qui participe sans doute à l’organisation du suspense nécessaire à ce type de roman. Si on note, en effet, la présence plus ou moins cachée de la faune dans les deux textes, il apparaît clairement que cette évocation prend la forme d’une menace éventuelle, d’un danger, perçu exclusivement par Flip (ces traces de pas sont-elles une menace ????).

L’île semble donc, dans les deux textes paradisiaque, mais les conceptions de ce paradis divergent : il s’agit d’un « âge d’or » chez Perse, propice à la contemplation, tandis qu’elle prend l’allure d’un terrain de jeux agréable pour les héros de Verne.

On retrouve en outre, dans les deux textes, le motif du creux offert par la nature (dimension protectrice, nature refuge…). Nous pouvons noter par exemple les termes « excavation » ligne 17, « grotte » ligne 18 ou encore « caverne creusée » chez Verne. Le naufragé s’inscrit donc dans ce creux, mais ses intentions ne sont pas identiques.

La nature ne s’offre pas totalement comme un lieu serein chez Verne, la notion de menace est bien présente.

Conclusion :

L’évocation du lieu chez Verne n’est pas une fin en soi, elle vise à mettre en place le décor de l’intrigue. Elle n’est pas hymne mais outil de la narration. Elle opère comme un espace où se situent les personnages, mais aussi les signes avant-coureurs de leurs péripéties. Ainsi le motif de la trace animale, de l’empreinte inquiétante, crée un climat, sinon d’angoisse, du moins d’incertitude et d’inquiétude progressive. Elle donne ainsi au motif de la grotte une valeur diégétique autre.

Le texte de Verne, se rapproche davantage, de ce point de vue, de celui de Defoe, puisque les personnages cherchent manifestement à prendre possession des lieux (ce que symbolise la mention de la pêche par exemple).